"Vers techniques" tirés de l'ouvrage de l'Abbé BOISSAT : Histoire de la Maison de Savoie (1851)

De nos princes aimés la tige est incertaine.
Le premier anneau manque à cette illustre chaîne :
Vers l'an mil apparaît Humbert aux blanches mains,
D'où sortent glorieux trente-huit souverains.
Capitaine accompli, modèle de justice,
Il reçoit de Conrad, pour prix d'un grand service,
Le trône de Savoie, aujourd'hui cimenté
Par neuf siècles d'amour et de fidélité.

Amédé dit la Queue à son père succède.
Un fils bien jeune encore au tombeau le précède :
Règne d'ombres couvert dont nul souvenir
N'est légué par l'histoire aux siècles à venir.

De son frère Amédé recueillant l'héritage,
Odon reste caché sous le même nuage.
La lumière pourtant se fait un faible jour,
Et montre Adélaïde embellissant la cour,
Apportant à l'état vertus, trésors, puissance,
Le soutenant plus tard d'une habile régence.

Le second Amédée, encor jeune et mineur,
Obtient un nouveau fief des mains de l'empereur,
Et bientôt un neveu que l'ambition guide
Réclame sans raison les biens d'Adélaïde.

Esprit droit et prudent, cœur noble et généreux,
Vainqueur en Tarentaise, en Piémont malheureux,
Humbert deux règne enfin sur les états prospères
Que d'injustes voisins disputaient à ses pères.

Vers onze cent quarante, Amédée aux Saints-Lieux
S'enrichit du beau nom de brave et de pieux.
Opposant aux Dauphins ses droits et la victoire,
Il marcha couronné de sagesse et de gloire ;
Et son nom brille encor sur les beaux monuments,
Dont sa royale main jeta les fondements.

Du bienheureux Humbert voici toute la vie :
Succès en Dauphiné, revers en Italie,
Piété dans le cloître, ardeur dans les combats,
Toujours tout à son Dieu, toujours tout aux états.

Sur la fin d'onze cent, Thomas à Charbonnière,
Commence avec la vie une illustre carrière.
Fils et père de Saint, béni dans ses enfants,
Il montre avec orgueil ses nombreux descendants.
Aux plus célèbres cours sa famille s'allie,
Et de sa tige sort la branche d'Achaïe.
Il prend et perd Turin, achète Chambéri.
Il meurt sous les drapeaux, et laisse un nom chéri.

D'Amédé quatre on sait l'adresse et la vaillance.
Turin courbant le front lui jure obéissance.
Son règne de vingt ans se peut peindre en deux traits :
Gloire dans les combats, bonheur durant la paix.

Boniface premier trouve Turin rebelle.
Son règne fut trop court ; et si la mort cruelle
Le frappe à dix-neuf ans, malheureux, prisonnier,
Tout n'était pas perdu : l'homme restait entier.

Elevé pour l'autel que jeune il abandonne,
Pierre contre le droit arrive à la couronne ;
Mais bientôt proclamé par la voix de l'état,
Il entoure son trône et de force et d'éclat.
Politique profond, il brille en Angleterre :
La gloire qu'il cueillit sur la plage étrangère,
Toujours pure et fidèle à son heureux destin,
Resplendit de nouveau sous les murs de Turin.

Philippe, à soixante ans, quitte le sanctuaire,
Supplante ses neveux et succède à son frère.
Digne de la couronne, il régna dix-sept ans,
Fit la guerre à l'empire et mourut sans enfants ;
Et sous le double poids des douleurs et de l'âge,
Il ne faillit jamais à son noble courage.

Amédé cinq le Grand surpasse ses aïeux ;
Son trône est usurpé, mais il est glorieux.
Vingt fois au champ d'honneur sa noble destinée
S'élève, s'agrandit, de succès couronnée.
Conduits par sa valeur, nos drapeaux triomphants
Défendent les Français, chassent les Musulmans,
Astre dont la splendeur sur l'empire rayonne,
Brillant à l'étranger sans nuire à sa couronne,
Il dirige les pas d'un puissant compagnon,
Et s'éteint sans pâlir dans les murs d'Avignon.

Suivant de ses aïeux la glorieuse route,
Edouard de Varey voit la triste déroute.
Au secours de la France il triomphe deux fois,
Et sauve à Mont-Cassel Philippe de Valois.

Aimon choisit d'abord l'Eglise pour partage ;
Et prenant le pouvoir d'une main pure et sage,
Calmant le factieux, repoussant l'agresseur,
Il fut de ses sujets le père et le vainqueur.

Amédé Comte-Vert règne dès son enfance.
Il triomphe aux Abrès et traite avec la France,
Gagne le Faucigny, protège les cités,
Arrête des méchants les projets redoutés,
Crée un ordre nouveau, calme la Lombardie,
Vainqueur en Orient, il revoit l'Italie,
Où l'attendait encore un triomphe plus beau.
Enfant de Chambéry, Naples fut son tombeau.

Amédé sept, son fils, gouverne avec justice,
Réprime ses vassaux, devient maître de Nice.
De sa trop courte vie il n'était qu'au printemps,
Lorsqu'un terrible coup le frappe avant le temps.
L'histoire a célébré ses beaux traits de vaillance :
Héros à Rosebecq, admiré de la France,
Redouté des Anglais, partout comblé d'honneur,
Il fut de ses sujets l'orgueil et le bonheur.

Des vertus d'un grand prince assemblage trop rare,
Amédé, premier duc, abandonne la cour,
Et demande à Ripaille un paisible séjour.
Mais là brille à ses yeux l'éclat de la tiare,
Et sa vertu chancelle. Esprit vaste et profond,
Il gouverne avec gloire en ces jours difficiles.
L'état ne fut jamais en des mains plus habiles,
Et nul règne en succès plus constamment fécond.

Sur le trône Louis ne fut point à sa place.
Faible, inconstant, conduit par des hommes pervers,
Il cueillit vingt-cinq ans, honte, mépris, revers ;
Grande et première tache aux gloires de sa race.
Amédé neuf le Saint voit des maux inouïs.
Sur le trône il languit plutôt qu'il ne commande ;
Et l'état, gouverné par les mains de Yolande,
Souffre longtemps encor des fautes de Louis.

Sous Philibert premier, une triste régence
Ajoute à tant de maux un foyer d'attentats.
Et tandis que le trône est miné sous ses pas,
Le duc est arrêté, s'échappe et fuit en France.

Enfin Charles premier réparait nos malheurs ;
Guerrier à quatorze ans, fort contre le rebelle,
Des vertus d'un autre âge il était le modèle,
Quand une mort suspecte annonce encor des pleurs.

Charles deux, au berceau trouve un trône qui penche,
Attaqué tour à tour par les traits ennemis
De l'avide étranger et des grands insoumis ;
Mais il a pour soutien le courage de Blanche,
Qui, fixant sur la France un regard méfiant,
La caresse, et bientôt la compte pour amie ;
En livrant aux Français les clés de l'Italie,
Elle a sauvé l'état et le duc son enfant.

Philippe deux Sans-Terre arrive à la couronne
Après mille attentats. Esprit audacieux,
Il poursuivit un père, un frère et trois neveux.
Sur le trône pourtant il se calme et pardonne.

Comme un rayon d'espoir Philibert avait luit.
Il meurt à vingt-quatre ans, déjà grand politique ;
Redoutant des Français l'amitié despotique,
Le premier de l'Autriche il demanda l'appui.

Charles trois cinquante ans est battu par l'orage.
Il se voit dépouillé par deux puissants rivaux,
Un beau-frère, un neveu, source de tous ses maux ;
Et sans sauver l'honneur, il perd son héritage.
Mais un beau jour se mêle aux épreuves du sort ;
Les lis et le croissant, d'accord pour l'injustice,
Se brisent sans succès contre les murs de Nice :
Ils trouvent pour rempart l'invincible Montfort.

Luther a ravagé nos plus belles provinces.
L'hérésie et la ruse ont tramé de concert,
Mais l'Espagne nous rend l'immortel Philibert.
Pouvait-elle mourir la maison de nos princes ?
A Saint-Quentin vainqueur, puissant et redouté,
Pour lui se lève encor le jour de Gravelines :
Et bientôt ses états sortent de la ruine,
Tout radieux de gloire et de prospérité.

Héritier d'un beau nom que la gloire proclame,
Etonner ses rivaux par de hardis projets,
Cueillir toujours l'honneur, rarement le succès,
Opposer aux revers l'ardeur d'une grande âme,
Voir briller saint François dans la chaire, à l'autel ;
Au Sénat le grand Favre, oracle de lumières ;
Sur le trône Henri quatre, au combat Lesdiguières,
" Donner et pardonner " : c'est Charles-Emmanuel.

Victor-Amédé voit peste, famine et guerre.
Au prix de Pignerol il achète la paix.
Pour sauver le pays, s'unissant aux Français,
Trois fois à la victoire il conduit sa bannière.

Hyacinthe-François règne et meurt au berceau.
Le sceptre ests dirigé par les mains de Christine :
Un puissant cardinal et la guerre intestine,
Du palais de nos ducs pensent faire un tombeau.

Charles-Emmanuel deux, succédant à son frère,
Echappe non sans peine au turbulent Thomas :
Il rentre dans Turin qui lui tendait les bras,
Protégé par l'amour de son habile mère.
Il traite avec rigueur les rebelles Vaudois.
Il voit naitre le calme après cent ans d'orage,
Par les biens qu'il répand, par les maux qu'il soulage,
Il prélude au bonheur du règne de nos rois.

Victime trop longtemps d'une indigne vengeance,
De son peuple envahi partageant la souffrance,
Deux fois vaincu par Catinat,
Victor-Amédé deux se relève et menace.
Plus grand que le malheur, il brave avec audace
Le courroux d'un fier potentat.
Son génie et son bras sauvent la capitale ;
La gloire place enfin la couronne royale
Sur son front noble et radieux.
Après avoir rendu la discipline aux armes,
Au commerce la vie, aux sciences leurs charmes,
Il abdique et meurt factieux.

Charles-Emmanuel trois à la France s'allie,
Parcourt avec Villars les plaines d'Italie,
Et triomphe sans résultats.
Tandis que, mécontents, le prince et son armée
Passent sous les drapeaux d'une reine opprimée,
L'Espagne envahit ses Etats.
Des mœurs et des vertus l'honneur et le modèle,
Des lettres et des arts l'ami le plus fidèle,
Il laissa de beaux monuments.
Gloire de ses états pendant vingt ans de guerre,
Il ne cessa jamais de se montrer le père
De ses sujets reconnaissants.

Une paix bienfaisante a restauré le trône,
Victor-Amédé trois arrive à la couronne,
Instruit dans l'art de gouverner.
Le bonheur du pays, c'est son rêve et sa joie,
Il sème des bienfaits dans Nice et la Savoie ;
D'autres mains devaient moissonner.
Le terrible Niveau, qui renverse et déchire,
Passait souillé de sang sur un peuple en délire,
Menaçant tous les souverains :
Un impie ouragan sur nos têtes le pousse,
Et Victor en ressent l'effrayante secousse
Sans pouvoir défendre les siens.

Charles-Emmanuel quatre hérita des ruines ;
Son trône fut de fer, sa couronne d'épines,
Son règne un calvaire sans fin.
La guerre prend ses biens, les donne à d'autres maîtres ;
La paix lui dit : renonce aux droits de tes ancêtres ;
Tel est son malheureux destin.
Sage et pieux, du sort il accepte l'épreuve,
Courbant son front royal sous la main qui l'abreuve
De maux, de souvenirs amers.
Il demande asile en terre étrangère,
Et descendant du trône, il ne laisse à son frère
Qu'une province au sein des mers.

Tandis que le Cosaque à Paris se promène,
La main du Tout-Puissant de l'exil nous ramène
Le bon Victor-Emmanuel :
Et secouant enfin les chaînes de France,
Nous n'avons qu'une voix pour chanter délivrance !
Et rendre grâce à l'Eternel.
Dans le conseil des rois la justice est admise.
Nos biens nous sont rendus : la Ligurie acquise
Nous fait oublier nos revers.
De coupables projets menacent la couronne,
Un assaut de vertus nous sauve, nous étonne
Et déconcerte les pervers.

Digne de gouverner, aimable comme un père,
Charles-Félix, cédant aux vœux d'un tendre frère,
Règne dix ans par les bienfaits.
Ami plutôt que roi, le peuple est sa famille ;
Et quand paraît ce front où tant de bonté brille,
Le transport ne tarit jamais.
Son bras sut mettre un frein aux torrents des montagnes,
Dont les forts mugissants ravageaient nos campagnes :
Œuvre digne de son amour.
Pieux, il releva les débris d'Hautecombe,
Où repose sa cendre, attendant dans la tombe,
Les splendeurs d'un autre séjour.

La gloire du passé, tant de fois rajeunie,
Brille d'un nouveau lustre à la sagesse unie,
Sur le trône de Charles-Albert.
Fils du fameux Thomas, il en a le courage,
Et son trône pieux nous rappelle l'image
Du brave et bienheureux Humbert,
Père des libertés qu'à son peuple il octroie,
Il entend retentir les tonnerres de joie
Que l'écho porte jusqu'aux cieux.
Il offre son épée à l'ingrate Italie,
Il succombe, il abdique, et loin de la patrie
Il meurt tranquille et glorieux.